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Volume 8, 2014
4e Congrès Mondial de Linguistique Française
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Page(s) | 587 - 603 | |
Section | Lexique(s) | |
DOI | https://doi.org/10.1051/shsconf/20140801132 | |
Published online | 24 July 2014 |
Le Dictionnaire historique de l’adjectif-adverbe : de aimer haut à baiser utile
Karl-Franzens Universität Graz, Institut für Romanistik, Merangasse 70/III, 8010 Graz, Autriche
Contact : anna.gazdik@uni-graz.at
Dans cet article, nous présentons le projet Dictionnaire historique de l’adjectif-adverbe (DHAA). Sous adjectif-adverbe (AA), nous entendons les formes du masculin singulier de certains adjectifs qui peuvent apparaître dans des fonctions adverbiales (modificateurs de verbes ou d’autres adjectifs) :
(1) On le gronde tout haut, on l’aime tout bas (1857) (2) Écrivez petit, vos lecteurs verront grand (1959) Dans les grammaires traditionnelles, normatives et scolaires, les syntagmes de ce type apparaissent généralement comme un petit groupe d’expressions qui sont entrées dans l’usage comme exceptions face aux adverbes en –ment. Toutefois, des études plus fouillées de Heise 1912 et de Grundt 1972 mettent en évidence la longue tradition des adjectifs-adverbes du français.
Le DHAA a pour objectif de doter la recherche de la base empirique nécessaire pour déterminer le rôle historique de l’adjectif-adverbe français et pour répondre à un certain nombre de questions de recherche. Dans ce qui suit, nous abordons les aspects historico-comparatifs des AAs, avant de passer à la présentation du dictionnaire lui-même. Finalement, nous mettons en évidence l’intérêt théorique de nos résultats.
Nous montrons que contrairement à ce que l’on croit parfois, l’emploi de l’adjectif pour les fonctions (aujourd’hui) considérées comme adverbiales n’est pas un phénomène nouveau. L’histoire du système adverbial des langues romanes est marquée par la coexistence de deux mécanismes remplissant les fonctions de modificateur : l’adverbe en –ment, lié à la tradition écrite, et l’AA, ancré dans la tradition orale. Le premier ne constitue pas un phénomène pan-romanique (il est présent dans les langues qui ont été les premières à créer une écriture standardisée en langue romane), tandis que le second se trouve dans toutes les langues romanes, dialectes compris, ce qui indique son origine dans le latin parlé. C’est ainsi que l’on parle plutôt de la continuité de l’AA en français, qui doit être situé entre tradition et innovation.
Le DHAA est réalisé à partir d’une banque de données déjà accessible sur Internet (Hummel / Stiegler 2005). Il lemmatise les syntagmes verbaux qui intègrent un adjectif-adverbe. La macrostructure alphabétique va donc de abaisser bas à voter utile. La banque de données contient environ 13000 exemples attestés dans FRANTEXT et des corpus spécialisés portant sur l’Ancien et le Moyen Français. Le nombre d’adjectifs-adverbes différents est de 291, et celui des groupes syntagmatiques s’élève à 2000 environ, dont le dictionnaire reprendra une sélection. Dans les entrées, la vedette qui se compose d’une paire « verbe + adjectif-adverbe » est suivie de citations classées, dans l’ordre, selon la signification et les caractéristiques syntaxiques du syntagme verbal. On distingue les emplois transitif, intransitif, emploi absolu et pronominal. À l’intérieur de chaque classe, les exemples figurent dans l’ordre diachronique. L’ordre des significations est déterminé par la datation de la première citation porteuse de la signification en question. Si possible, un exemple par siècle est retenu, complété par d’autres exemples contenant des variantes. Le corps des citations est suivi de Remarques, divisées en deux parties : la première fournit des informations sémantiques sur le syntagme vedette (champ sémantique de l’adjectif-adverbe, contextes d’usage et collocations possibles). La deuxième partie traite des propriétés grammaticales de la vedette (possibilité de modification par un autre adjectif-adverbe. (in)variabilité, registre d’usage). Dans le paragraphe Voir aussi, nous énumérons les paires « verbe + adjectif-adverbe » du dictionnaire et de la banque de données qui sont en relation de synonymie ou d’antonymie avec la vedette. Une section finale intitulée Documentation complémentaire contient des citations que nous avons recherchées à l’aide du moteur de recherche de Google. Elles sont censées illustrer l’usage contemporain du syntagme dans une écriture spontanée, peu soutenue, qui contredit très souvent les grammaires prescriptives, surtout dans le domaine de l’affixation adverbiale et de l’accord en genre et en nombre.
Le fait que les adjectifs-adverbes sont étroitement liés à la tradition orale nous fait avancer l’hypothèse selon laquelle la plupart des adjectifs-adverbes font partie de cet ensemble nucléaire d’adjectifs et du vocabulaire de base de la langue française, destiné à assurer la communication de la vie quotidienne. Cela suggère également que les adjectifs-adverbes se superposent aux adjectifs les plus fréquents de la langue, du moins avec ceux qui se rapportent à l’événement et ses participants. Pour soutenir cette hypothèse, nous examinons d’abord l’appartenance des adjectifs-adverbes à des oppositions paradigmatiques de base, ensuite nous passons à leur occurrence dans le domaine des jargons. Un autre sujet que nous examinons de près est l’accord des AAs. La distinction primaire généralement admise entre adjectif et adverbe est que les premiers sont variables (ils s’accordent en genre et en nombre avec le nom dont ils dépendent), tandis que les derniers sont invariables. Les adjectifs modifiant des verbes sont censés être invariables, car il n’y a pas de nom hôte avec lequel ils puissent s’accorder. Or, comme certains de nos exemples le montrent, cette généralisation n’est pas tenable si on prend en compte, d’une part, les données diachroniques (3) et, d’autre part, celles provenant de l’écriture spontanée, peu contrôlée d’aujourd’hui (4) :
(3) La lampe brûlait très haute (1878) (4) Je suis sur le point d'arrêter nette ma conso de cannabis (2013)
Notons que dans ces cas, une analyse en tant que prédicat second n’est pas concevable. Même si certains de ces exemples peuvent être considérés comme des cas d’hypercorrection, cela ne les explique pas tous. On observe un rapprochement aux prédicats seconds en ce que les AAs s’accordent avec un nom accessible, même s’ils n’en sont pas les modificateurs primaires.
© aux auteurs, publié par EDP Sciences, 2014
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